Pour ceux qui se poseraient la question, c'est moi qui ai proposé à Isaguerra de se joindre à nous.
Et pour ceux qui sont impatients, s'il y en a, et tous les autres qui n'ont pas encore lu jusque là, voici encore un peu de lecture, attention à l'accumulation du retard! (mais après je vous laisse tranquille).
Chapitre 11, Partie 3. (fin..)
Hava scrutait l’obscurité, attentive au moindre bruit suspect. Il ne s’agissait pas de se faire surprendre maintenant, alors que leur plan avait parfaitement fonctionné. A ses pieds, Mendoza était assis inconfortablement, les poings liés devant lui, la bouche bâillonnée. Deux hommes le surveillaient. Il avait plongé sa tête sur ses avant-bras, eux-mêmes soutenus par ses genoux, afin de soulager comme il le pouvait sa douleur, qui s’accentuait lorsqu’il redressait la tête, et il ruminait des idées noires. Il avait voulu de l’aventure, il était servi ! Depuis quand ne s’était-il pas retrouvé dans une situation si critique ? C’était à croire que Gonzales attirait les ennuis. Il tenta de réfléchir à un moyen de se libérer, mais il se sentait bien impuissant. La seule solution aurait été de précipiter les trois bandits dans le ravin au bord duquel ils se trouvaient, mais aurait-il l’énergie suffisante pour cela ? La marche jusqu’au ravin avait déjà été une épreuve. Ne valait-il pas mieux attendre que les autres le trouvent, si ce que lui avait expliqué Hava était vrai ? Dès que Gonzales était parti, les deux hommes l’avaient rejointe, et sous la menace d’une arme, Mendoza n’avait eu d’autre choix que de se laisser ligoter et bâillonner. Elle avait pris un malin plaisir à lui faire part de son plan, et elle ne doutait pas de sa réussite. Le seul risque était à présent de se faire surprendre par la garde. Mais tant que minuit n’était pas passé, ils étaient tranquilles, personne ne patrouillait dans ce coin désolé. Dans le lointain, la cloche de l’église retentit. Hava se tourna vers ses acolytes.
H : Bien, il est temps de déposer notre colis au fond du ravin. Il y a un sentier un peu plus loin.
L’un des hommes protesta.
B1: J’comprends pas, on n’est même pas sûr que les autres ont bien eu la rançon ! Pourquoi on le garde pas avec nous jusque-là ?
L’autre renchérit.
B2 : Rançon ou pas rançon, moi j’suis d’avis qu’on le balance d’ici, on va pas encore se fatiguer à le descendre là au fond !
B1 : T’es idiot ou quoi, tant qu’on n’a pas vu l’argent, faut pas le balancer, on pourrait encore avoir besoin de lui !
H : Allons, messieurs, inutile de discuter, on s’en tient à ce qui a été décidé !
B1 : Ouais ben moi j’aurais pas fait comme ça…
H : On ne te demande pas ton avis !
Le ton ferme d’Hava imposa le silence. Elle avisa Mendoza, toujours prostré, et s’approcha de lui.
H : Capitaine, votre délivrance est proche ! Encore un effort, et nous vous laisserons tranquille !
Mendoza ne bougea pas. Elle plissa les yeux, donna un coup de pied dans le corps sans réaction. Les brigands firent un pas en avant pour le saisir et le mettre debout, mais Hava les arrêta d’un geste. Elle se pencha vers lui et l’empoigna brusquement par les cheveux, tirant sa tête en arrière.
H : Avez-vous entendu, Capitaine ? Il faut vous montrer plus coopératif !
Elle se tenait à présent au-dessus de lui, dardant sur lui ses yeux verts qui étincelaient de colère. Mendoza la fixait d’un air de défi, malgré la douleur.
Le bras tendu d’Hava laissait apparaître, sous le voile qui l’enveloppait, un fourreau fixé à sa ceinture, duquel dépassait le manche sculpté d’une dague. Mendoza, d’une brusque détente sur le côté, déséquilibra la voleuse, qui bascula en arrière et lâcha les cheveux du marin. Ce dernier, emporté par son élan, s’abattit sur elle et s’empara de la dague avant de rouler vers le bord du ravin. Les deux bandits foncèrent sur lui. Il reçut le premier d’un vigoureux coup de pied qui le précipita dans le ravin, et se redressa aussitôt, à genoux, la dague pointée vers le second à bout de bras. L’homme n’eut pas le temps d’esquiver et reçut le coup dans le bas-ventre, manquant s’abattre sur Mendoza, qui réussit à l’éviter en se jetant de côté. Il avait mis toute son énergie dans son attaque surprise, et sa tête lui semblait près d’exploser sous une douleur atroce qui pulsait dans tout son crâne et jusque dans ses cervicales. Il tenta de se remettre debout, péniblement, ayant vaguement conscience qu’il ne s’était pas débarrassé d’Hava, mais ne parvenant pas à distinguer où elle se trouvait. Il lui fallait trancher ses liens de toute urgence, mais il craignait de ne pas en avoir le temps.
H : Vous voilà bien avancé, Capitaine…Il va vous falloir descendre tout seul dans le ravin...
Il n’eut pas le temps de réagir. Un violent coup de pied lui fit lâcher la dague et le déséquilibra, puis il se sentit puissamment poussé en arrière par les bras fermes d’Hava qui pesaient sur ses épaules. Il chercha un appui de son pied gauche, mais celui-ci ne rencontra que le vide. Il bascula, trouvant juste la force de se tourner pour ne pas tomber sur le dos et tenter d’amortir sa chute de ses bras liés.
H : Bonne chance, Capitaine...Je n’aime pas qu’on se moque de moi !
« Il est ici ! » Gonzales venait de repérer à la lumière de sa torche une forme à mi pente. La cape bleue était immédiatement reconnaissable. Le corps avait manifestement été arrêté par les taillis sauvages qui poussaient sporadiquement sur la roche. Gonzales se trouvait lui-même sur le sentier abrupt qu’Hava avait voulu faire emprunter au marin. Il le quitta pour s’aventurer sur la pente poussiéreuse en prenant garde à ne pas déraper sur les cailloux qui roulaient sous ses pieds. Il faillit perdre l’équilibre plus d’une fois et dut se retenir tant bien que mal à des touffes de romarin ou des tiges d’hysope qui s’arrachaient sous son poids. « Au moins, j’aurai fait le plein de plantes médicinales par la même occasion ! » maugréa-t-il pour lui-même. Il était furieux. Ce n’était pas ce qui était prévu. Elle savait bien pourtant qu’il avait besoin de Mendoza vivant. Mais il aurait parié que ce diable de marin avait voulu faire le malin et avait provoqué lui-même sa chute. Elle n’aurait pas osé compromettre ainsi la réussite de sa mission, quoique…Il connaissait son caractère imprévisible. Alors qu’il perdait une fois de plus l’équilibre, sa torche éclaira à quelques mètres en contrebas le corps d’un autre homme, ce qui confirma ses craintes. Ils auraient dû procéder autrement, abandonner Mendoza au fond d’un de ces moulins du ravin Raz El Aïn, ou d’une carrière de pierre, ou tout simplement dans la cave de la maison. Mais Hava avait jugé préférable de choisir un endroit plus éloigné de la ville, moins accessible, et où il faudrait du temps pour retrouver Mendoza. Le ravin Blanc lui avait paru idéal, et effectivement cela faisait déjà plus de deux heures qu’ils cherchaient. Il appela le marin, mais comme il s’y attendait, il n’obtint aucune réponse.
I : Gonzales ? Où êtes-vous ?
G : Avancez encore un peu, il y a un sentier. Mais je vous déconseille de descendre. Qui est avec vous ?
I : Alvares.
G : Alvares ! Venez donc m’aider ! Et vous, senorita, prévenez les autres.
I : Comment va-t-il ?
Il perçut clairement l’anxiété de la voix d’Isabella. Il était parvenu à se stabiliser près de Mendoza. Les bandages sur la blessure n’étaient plus qu’un souvenir. Ils avaient dû être arrachés au cours de la chute. Gonzales pesta. « De mieux en mieux ! » pensa-t-il.
I : Gonzales ! Répondez-moi !
G : Il respire, tout va bien ! Mais j’ai besoin d’aide, activez-vous, senorita !
Le ton était ferme, presque dur. Isabella crut même percevoir une pointe d’agacement. Elle s’exécuta sans plus attendre.
Gonzales reposa la coupe contenant la potion qu’il venait d’administrer au blessé.
G : Puisque je vous dis qu’il va mieux !
I : Voilà des jours que vous me dites ça, Gonzales, espèce de charlatan !
G : Il faut un peu de patience…Et vous exagérez, cela ne fait que trois jours.
I : Ce sont trois jours de trop ! Vous m’avez assuré qu’il n’y aurait pas de complication !
G : Et il n’y en a pas eu…vu les circonstances. Son corps se remet doucement, et il devrait revenir véritablement à lui d’un jour à l’autre.
I : D’un jour à l’autre ! Avouez que vous n’en savez rien !
G : Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Vous auriez préféré que je le trépane pour vous faire plaisir ? La blessure s’est un peu infectée, voilà tout, et avec les autres traumatismes qu’ont subi ses membres supérieurs, il est normal qu’il mette du temps à récupérer.
I : A se réveiller, plutôt.
G : Ecoutez, senorita, j’ai fait de mon mieux, je vous assure, mais on dirait que vous vous acharnez à ne pas me faire confiance.
Isabella se détourna brusquement. Elle savait qu’elle était injuste, mais elle ne parvenait pas à donner raison à Gonzales. Depuis que Mendoza avait été remonté du ravin, il s’en était occupé constamment, prenant mille précautions pour le faire transporter jusqu’au navire, le soignant avec dévouement et autorité, le veillant nuit et jour, en plus de ses devoirs de capitaine. La Santa Catalina et le San Buenaventura avaient quitté Oran au petit matin, comme prévu. Le commandant de la garde qui était venu au rapport avant qu’ils ne lèvent l’ancre n’avait pas été en mesure de leur donner un quelconque espoir de retrouver ni l’argent, ni les voleurs, mais ils s’y attendaient. Depuis leur départ, l’atmosphère était tendue à bord de la Santa Catalina, dont Gonzales avait pris le commandement afin de pouvoir veiller sur l’état de santé de Mendoza. Il voulait aussi éloigner Alvares et Fuentes, car leur présence ne faisait qu’irriter Isabella, qui ne parvenait pas à se défaire à leur encontre de la méfiance qu’elle avait conçue depuis l’enlèvement de son amant. La jeune femme était à bout de nerfs, mais refusait de prendre quoi que ce soit pour regagner un peu de quiétude. Elle restait auprès du blessé et surveillait le moindre des gestes de Gonzales. Elle avait contesté plus d’une fois son traitement, alors qu’elle connaissait pertinemment les drogues et les onguents qu’il employait. Elle l’avait même assisté pendant l’opération, avait tenu à refaire les bandages. Mais elle persistait à accabler Gonzales de reproches. Ce dernier ne trouvait pas la situation si déplaisante que cela, et avait même tendance à penser qu’elle se défendait ainsi contre l’intimité forcée que lui imposait leur proximité commune avec le blessé. Pour lui, ces reproches constants sonnaient comme des aveux. Mais il n’était pas question d’aller trop loin. Il savait qu’il devait se contenter de cette relation. Pourtant, il brûlait de prendre cette main qu’il avait effleurée maintes fois depuis quelques jours.
M : Isabella…
Gonzales agrippa l’épaule de la jeune femme pour la prévenir. Elle aussi avait entendu. Elle se dégagea et repoussa le jeune métis pour se pencher au-dessus de Mendoza. Gonzales sut alors que la période la plus heureuse de sa vie venait de s’achever. Il quitta la pièce sans dire un mot, les laissant à leurs retrouvailles. Il devait se concentrer à présent sur la réussite de sa mission, et il avait la conviction que cette escale à Oran allait porter ses fruits. Il s’était donné beaucoup de peine en ce sens. Mendoza était peut-être tiré d’affaire pour le moment, mais il était retenu désormais par des liens puissants qui le mèneraient inexorablement là où Gonzales voulait qu’il aille.