Impressions en cours de lecture ~ Chapitre 17 (Partie 3)
Une entrée en matière qui ne s’embarrasse pas d’adoucir la réalité avec du miel, c’est le moins que l’on puisse dire. Le contraste entre les souvenirs heureux à Porte Conte et la situation actuelle rend le tout encore plus saisissant.
Elle ne savait ce qui était pire : s’éveiller d’un cauchemar le cœur palpitant d’angoisse ou sortir d’un rêve trompeur, le cœur brisé. → À mon sens, le second est pire, car beaucoup plus pernicieux. Mais sinon, il est certain que ni l’un ni l’autre n’est agréable.
Nacir sait aussi cuisiner ? La classe ! C’est qu’il est très prévenant, notre pêcheur d’éponges ! (même si ce n’est pas entièrement désintéressé ^^)
I : Venez-en au fait, chevalier Romegas, mais cessez de crier ainsi, je vous prie, vous allez gâcher ma digestion. → Ce serait dommage, en effet. Un si bon petit déjeuner !
Il jeta sur la table, au milieu des plats à moitié vides, une lettre, vierge de tout destinataire. → Aïe ! Je suppose qu’il s’agit de la fameuse lettre qu’Hava a dictée à Mendoza. Ce n’est plus tellement le contenu qui me fait frémir (de peur ? d’impatience ? Allez savoir…) mais plutôt les mots employés pour le dire. On va voir ça.
I : J’attends vos explications, Romegas ! Je ne vous savais pas si rustre ! → Ouuuuuh, l’atmosphère se refroidit sensiblement…et ce malgré les oreilles échauffées du chevalier !
Peu à peu, il retrouvait son sang-froid, comme si le regard glacial d’Isabella avait éteint le feu qui dévorait son orgueil. → Son orgueil masculin, bien sûr.
Nacir, qui n’avait pas bougé depuis l’entrée des chevaliers, même s’il avait eu grande envie de les jeter dehors, se détendit un peu → Heureusement qu’il n’a pas essayé de le faire, vu l’humeur massacrante de Romegas ! Il se serait fait embrocher, le pauvre !
Tiens, je viens d’apprendre que le mât de misaine pouvait aussi s’appeler « arbre de trinquet ». Merci pour la leçon de vocabulaire maritime !
R : nous répondons de chacun de nos hommes, mais qui sait si l’un d’entre eux ne s’est pas laissé tenter par une récompense ? → Si c’est le cas, Hava a définitivement le bras long. Et ça n’explique toujours pas comment elle a pu garder un œil sur Gonzales à distance. Grâce à qui, ou quoi ?
[…] la lettre, cachetée de cire rouge, qu’il lui fallait à présent ouvrir. → L’amatrice de sigillographie que je suis apprécie grandement ce petit détail, de même que les roulements de tambour qu’il déclenche.
I : Et sachez que j’ai toute confiance en Nacir, chevalier. S’il est sorti ce matin, c’est uniquement pour pêcher. Je ne vois pas comment il pourrait être lié cette affaire. → Petite coquille : lié à cette affaire.
Mais dès les premiers mots, elle pâlit. Elle ne s’attendait pas à lire son écriture, à lui. → C’est encore pire comme cela… Hava a l’art de blesser jusque dans les plus petits détails ! (ou serait-ce toi, Nonoko ? )
L’outrecuidance de cette femme la stupéfiait. Les mots tracés à la plume par la main aimée distillaient le poison d’une voix étrangère, une voix mielleuse, dont le fiel engourdissait la langue d’Isabella. → Bon, la bonne nouvelle, c’est qu’Isabella semble avoir vite compris la duplicité contenue dans l’écriture, mais à quel point ? La mauvaise… eh bien, c’est que je n’ai pas fini de lire, et que je redoute ce qui va suivre !
Je n’ose envisager que tu ne parviennes pas à trouver une telle somme, et que tu renonces à retrouver celui qui ne rêve que de toi toutes les nuits. → Effectivement, l’outrecuidance de la demande et du style m’a fait éclater d’un rire particulier où se mêlaient stupeur et tremblements (tu as vu ce que je viens de faire ? ). Et aussi traiter Hava d’un certain nombre de termes à l’élégance douteuse.
tu n’auras l’immense bonheur de me serrer dans tes bras que si personne bla bla bla → Non mais j’hallucine… L’audace éhontée !
Sache [ …]qu’on prend bien soin de moi ici. → Oui… un peu trop bien, même ! → [ Image Externe ]
R: Approuverait ma décision ! Vous, Gabriel, vous resterez ici pour veiller sur la senorita jusqu’à ce que nous ayons ramené les prisonniers sains et saufs. Moi, je vais passer à Malte pour demander qu’on nous accorde la somme demandée. → Eh bien, quel geste princier !
R : Gabriel, vous n’êtes qu’un rabat-joie ! → Rabat-joie, d’accord, mais il n’a pas totalement tort !
E : Cela dépend des jours, tantôt on me juge tête de mûle, tantôt on me reproche d’être une vraie tête brûlée. → Notre fils du soleil profite à présent d’un beau sens de la répartie ! ^^
Et elle se souvenait à quel point Mendoza avait tenu à tenir ses amis éloignés de cette quête au trésor. Avait-elle le droit à présent de les mêler à tout cela ? → Évidemment que tu peux…
C’est ce qui était prévu depuis le départ, n’est-ce pas, Nonoko ? Mais où cela va-t-il les mener ? Telle est la question !
Elle ne savait plus que penser, et sa responsabilité dans tout cette affaire lui pesait plus que jamais. → Petite coquille : toute cette affaire
E : Pour ma part, je ne néglige jamais l’avis de ma compagne.
T : Ne l’écoutez pas, chevalier, c’est moi qui suis le plus raisonnable du groupe, Tao, n’oubliez jamais ce nom.
Z : Raisonnable ou raisonneur ? Ne faites pas attention, chevalier, Tao aime mettre son grain de sel dans la conversation, mais vous pouvez compter sur moi pour résoudre les problèmes.
→ Je suis fan de ce mini dialogue où l’on perçoit, en si peu de mots, tellement bien les différents caractères de notre trio préféré ! Un grand bravo !
T : Je lui avais demandé de garder le secret ! Vous ne pensez tout de même pas que j’allais utiliser ma merveille pour le compte d’un vulgaire marchand qui veut récupérer un trésor. Quant à ce Gonzales, il ne m’inspirait aucune confiance ! → 1 : Viens par ici, Tao, que je te prenne dans mes bras !
2 : Une petite minute. Si Gonzales ne savait pas pour la cloche, pourquoi cherchait-il tellement à faire en sorte que Mendoza en appelle aux « enfants » ?
R : Des femmes, seules, sans la protection d’un homme ? → Je sais qu’il ne pense pas à mal, mais il commence à me courir sur le cocotier, celui-là, avec ses allusions machistes… Bon, je suis contente que Zia et Indali restent avec Isabella. Par-contre, je me fais du souci pour Nacir.
E : N’ayez crainte, nous y serons. → Et nous aussi !
I shall be telling this with a sigh
Somewhere ages and ages hence:
Two roads diverged in a wood, and I—
I took the one less traveled by,
And that has made all the difference.
Aaaaaaah! Comme ça fait du bien!!!!!
Justement, j'attendais que tu te décides enfin à lire la suite pour pouvoir publier la suite, mais en fait....non, je suis toujours en train d'écrire la suite et donc il faut s'armer de patience en attendant de pouvoir lire cette suite, et je n'attendais rien de mon côté, je suis juste occupée, bouh ouh ouh....non, en fait non, j'attends que Dek lise la suite pour finir d'écrire la suite!
"On savoure mieux ce qu'on a désiré plus longtemps, n'est-ce pas Mendoza?" Unagikami mon amour "It was a skyfall, and a rebirth, a bloody honeymoon, for both of us" Yokai Circus
nonoko a écrit : 03 oct. 2017, 20:01
Aaaaaaah! Comme ça fait du bien!!!!!
Justement, j'attendais que tu te décides enfin à lire la suite pour pouvoir publier la suite, mais en fait....non, je suis toujours en train d'écrire la suite et donc il faut s'armer de patience en attendant de pouvoir lire cette suite, et je n'attendais rien de mon côté, je suis juste occupée, bouh ouh ouh....non, en fait non, j'attends que Dek lise la suite pour finir d'écrire la suite!
♪ ♫ Et pourtant j'attendrai ton retour
J'attendrai le jour et la nuit
J'attendrai toujours ton retour
J'attendrai car l'oiseau qui s'enfuit
vient chercher l'oubli dans son nid ♪ ♫
I shall be telling this with a sigh
Somewhere ages and ages hence:
Two roads diverged in a wood, and I—
I took the one less traveled by,
And that has made all the difference.
Voici la suite, à quatre mains, désolée pour le délai...bonne lecture
Quatrième partie.
Quelques instants après, les jeunes gens se trouvaient enfin seuls avec Isabella, Gabriel d’Aubusson ayant suivi Romegas afin de récupérer quelques affaires, et Nacir ayant profité de l’occasion pour laisser ses nouveaux amis entre eux, se proposant aimablement d’aider le chevalier. Gabriel avait accepté aussitôt, malgré l’air visiblement méfiant de Romegas. Dès qu’ils furent partis, Isabella laissa éclater sa colère.
I : Esteban ! C’est la dernière fois que tu te mêles de mes affaires ! La dernière fois que tu décides à ma place ce qui est bon pour moi ! La dernière, tu entends ?
E : Je serais bien fou de désobéir…mais reconnais que nous n’avions guère le choix. Il fallait donner satisfaction au chevalier Romegas, ou il ne nous aurait pas laissé agir à notre guise.
I : C’est toi qui le dis ! Résultat, Romegas s’imagine qu’il va retrouver votre navire à Malte, et moi je dois supporter la présence de Gabriel ici !
E : Ne t’inquiète pas pour Romegas, on se débrouillera, et s’il doit découvrir que nous n’avons pas de navire, il ne sera pas le premier. Il n’est pas dangereux, même si je préfère que l’Ordre de Malte ne mette pas trop le nez dans nos affaires.
I : Maintenant que toute la Cour d’Espagne est au courant, de toute façon, qu’est-ce que ça peut bien faire ? L’empereur ne vous laissera pas brûler sur un bûcher pour sorcellerie…
T : J’espère bien ! Mais si tu veux mon avis, tu t’énerves pour rien…
E : Oui, je pense que nous avons pris la bonne décision, dans l’intérêt de Mendoza…
Z : Et dans le tien. Je ne t’aurais pas laissée nous accompagner.
E : Euh, ‘les’ accompagner, tu veux dire. Puisque tu restes ici. Pour veiller sur Isabella et Indali. Ce n’est pas que cela m’enchante, mais…je pense vraiment que c’est la meilleure chose à faire. Tu te sentiras sans doute mieux en restant près d’elle, et nous, bah…nous nous ferons moins de soucis de vous savoir ainsi en sécurité auprès du chevalier d’Aubusson ! Gabriel, c’est bien ça ?
T : Moins de soucis, moins de soucis, c’est vite dit, déjà qu’Isabella l’appelle par son prénom ! Avec sa tête d’ange, il me revient qu’à moitié, mais bon, je lui laisse le bénéfice du doute, et puis, je compte sur Zia pour lui envoyer valser une marmite sur la figure s’il se montre trop collant !
Z : Tao ! Ce que tu peux être lourd parfois !
T : Qui, moi ? Hein ? Mais….
Il venait de remarquer que Zia lui faisait les gros yeux, en penchant un peu sa tête de côté. Or non loin d’elle se trouvait Indali. La jeune Indienne, qui s’était bien gardée d’intervenir dans une situation qui ne la concernait pas directement, se tenait sagement à l’écart, mains croisées devant elle, tête baissée, manifestement embarrassée. En la voyant si gênée, Tao regretta aussitôt ses paroles.
I : Tao, Zia a raison, le chevalier est un ami, et j’apprécie sa compagnie, mais quand je pense que je vais devoir encore rester ici à attendre…c’est tout simplement insupportable ! Je sais que tout est pour le mieux, et que vous saurez tirer Mendoza d’affaire, que ma présence serait un poids inutile, et que je dois penser à l’enfant…mais…
E : Je sais que c’est dur pour toi, mais tu dois être patiente. Nous ferons au plus vite, sans attendre Romegas si tu veux.
I : Je te remercie…mais ce n’est pas ça qui me ronge le plus en ce moment…tu as lu la lettre, n’est-ce pas ?
E : Euh…oui…
I : Eh bien tu peux comprendre ce que j’éprouve : si je ne vous accompagne pas, je ne pourrai pas venger l’affront que me fait cette femme !
T : Pffff….laisse tomber, Isabella, elle n’en vaut pas la peine ! Tout ce qui compte, c’est qu’il revienne, non ?
Z : Oui, Tao a raison. D’ailleurs je suggère que nous brûlions cette lettre.
I : Non !....elle est de sa main, à lui…et puis, le mal est fait…
T : Qu’est-ce qu’il a donc écrit de si terrible ? Il dit juste qu’il pense à toi ! Bon d’accord, cette Hava en a profité pour glisser quelques menaces, mais Mendoza dit aussi qu’il est bien traité.
Z : Laisse tomber, Tao…Ecoute, Isabella, tu te fais du mal, tu laisses cette femme te faire du mal en prêtant attention à ses provocations. Ne laisse pas la colère te dominer. Ne laisse pas Hava gagner.
I : Hava ? S’il ne s’agissait que de cette femme…tu ne comprends pas que j’enrage contre moi-même, contre Mendoza, contre Gonzales, contre vous et contre cet enfant qui m’empêche d’agir à ma guise !
In : J’en ai assez ! Dominez-vous un peu ! Zia et Tao ont raison, alors, à quoi ça sert de crier comme ça ? Vous êtes enceinte, et c’est votre priorité : je sais que vous aimez les enfants, alors, à quoi bon vous acharner à traiter celui que vous portez comme une gêne ? En le protégeant, c’est vous et son père que vous protégez ! Pourquoi voudriez-vous l’exposer à tous les dangers ? En réagissant ainsi, vous faites le jeu de cette femme, et vous vous comportez comme une idiote ! Les gens qu’on aime, on veut les protéger à tout prix ! A côté de ça, votre petite fierté personnelle n’a aucune importance !
La brusque intervention d’Indali les laissa tous sans voix. Quand elle se rendit compte qu’elle venait de s’emporter ainsi contre son ancienne ennemie, la jeune Indienne ne sut plus où se mettre, et rebaissa aussitôt la tête qu’elle venait de lever pour parler. Isabella brisa le silence d’une voix glaciale.
I : Alors comme ça, tu sais que j’aime les enfants ? Tu me connais donc mieux que moi-même ? Tu te prends pour la voix de ma conscience ou quelque chose comme ça ?
Z : Isabella, ça suffit, Indali ne fait que dire ce que nous pensons tous et que tu te refuses à entendre.
La jeune Indienne prit une profonde inspiration.
In : Laisse, Zia. Je peux me défendre toute seule. Je sais qu’elle aime les enfants, parce qu’elle n’a pas dénoncé ceux de mon village quand ils étaient cachés dans les arbres, c’est tout. Mais elle est trop fière pour avouer la moindre faiblesse. Elle croit que pour être respectée il faut se montrer forte. Mais elle confond la force et la violence. A la violence d’Hava elle veut répondre par la violence. Elle manque de sagesse. Mais son enfant lui apprendra la sagesse.
Isabella la toisa un instant.
I : Eh bien, soit, puisque tu le dis, espérons que cela se réalisera. En attendant, nous aurons tout le temps de méditer ensemble sur tes paroles pleines de sagesse, puisque tu as manifestement l’intention de me donner quelques leçons. J’espère que je saurai les entendre et les retenir en conservant mon calme, mais je ne te promets rien. Zia veillera à ce que je ne m’emporte pas contre toi, je lui souhaite bien du plaisir ! Et maintenant, excusez-moi, je voudrais être seule. Inutile de me suivre.
Et sans laisser aux autres le temps de protester, elle sortit à grands pas. Tao poussa un soupir de soulagement.
T : Eh ben les filles je vous souhaite bien du plaisir ! Finalement, vous avez pris le boulot le plus risqué !
Zia s’approcha d’Indali pour la réconforter.
Z : Merci, sans toi je ne sais pas si elle se serait calmée. Pas trop secouée ?
In : Non, non, j’ai juste cru qu’elle allait me sauter dessus comme une tigresse pour me dévorer toute crue, mais à part ça, ça va.
E : Tu as bien fait d’intervenir, vraiment, ça lui a remis les idées en place, enfin, j’espère. Vous imaginez un peu si elle se glisse à notre insu dans le condor et qu’on la retrouve prête à bondir sur Hava lors de l’échange ?
T : Moi je trouve qu’elle monte un peu trop vite sur ses grands chevaux, bon d’accord cette femme garde Mendoza prisonnier et se paye la tête d’Isabella dans la lettre, quoique, moi je ne lis rien de si choquant dedans, enfin bref, mais de là à réagir comme une furie !
Z : Tu n’es pas à sa place, alors évite de la juger.
T : Oui, bon, d’accord, mais toi tu as déjà été enlevée, et Indali aussi, et c’est pas pour ça que…
E : Eh bien moi je comprends tout à fait qu’on puisse réagir ainsi !
T : Oui mais toi c’est pas pareil, tu n’as pas la sagesse et le sang-froid d’un nacaal…
E : C’est vrai, la première fois qu’on s’est rencontrés tu as eu de la chance d’échapper à ma colère, sinon je t’aurais fait payer cher l’enlèvement de Zia !
T : Peuh ! Tu étais mort de trouille !
E : Parfois la peur permet de se dépasser ! Crois-moi, tu l’as échappé belle !
Z : Et c’est reparti….vous n’avez pas fini, on dirait des anciens combattants qui ressassent leurs souvenirs de guerre. Vous feriez mieux de mettre au point votre plan pour aller récupérer le trésor.
T : On a besoin de Nacir ou d’Isabella, et tant qu’ils ne seront pas revenus…
E : Au fait, je me demande quelle mouche a piqué Isabella d’accepter la proposition de Nacir de nous accompagner.
T : Elle semble avoir confiance en lui, et à moi aussi il me plaît. J’ai même hâte de lui faire découvrir nos merveilles ! Mais tu imagines, si on avait dû mettre les chevaliers au courant ?
E : Bref, je suppose que nous ne pouvons pas revenir là-dessus, et puis il nage sûrement mieux que toi, Tao.
T : Et que toi ! De toute façon, il ne nous sera utile que pour le repérage de l’épave. Eh eh, il croit sûrement qu’il va devoir plonger encore, dans la cloche d’Alexandre ! Oooh, comme j’ai hâte de voir sa tête quand on plongera avec le Thallios !
E : C’est une chance que Romegas ne soit pas un scientifique, imagine un peu s’il avait voulu voir à quoi ressemble la cloche ! On aurait eu du mal à se débarrasser de lui !
T : Oui, je pense que le chevalier d’Aubusson, lui, aurait été très intéressé par la chose, c’est un intellectuel, ça se voit tout de suite, mais heureusement, la perspective de protéger Isabella lui a fait oublier la cloche…
Z : Bon, Indali et moi on va retourner au condor pour prendre quelques affaires.
T : Je vous accompagne ! J’avais une expérience en cours !
E : Et moi je reste pour attendre le retour des autres.
Z : Si Isabella tarde trop…
E : J’irai faire un tour, promis, mais je ne tiens pas du tout à la déranger. Si jamais tu as un flash, tu sauras que tu dois venir me tirer de ses griffes de toute urgence.
Z : Avec ton humour tu es capable de désamorcer n’importe quelle situation délicate…A tout à l’heure !
Assise sur une pierre, au pied d’une tour nuragique, un de vestiges de l’âge de bronze qui parsemaient les hauteurs de la baie de Porto Conte, Isabella contemplait l’horizon, les yeux perdus dans l’azur, s’efforçant de faire le vide dans son esprit. En temps ordinaire, elle se plaisait à explorer ces ruines, dont certaines avaient aussi abrité les deux amants lors d’escapades où l’aventurière se délectait d’un autre genre d’exploration. Dans ces moments là, seuls les griffons et les faucons pouvaient les observer en plongeant leurs prunelles perçantes dans les édifices coniques au toit effondré, et leurs cris aigus se mêlaient parfois à ceux des humains enlacés. Etre venue ici était peut-être une erreur. Elle se souvenait à présent de la fois où, en sortant de leur abri, elle et Mendoza étaient tombés nez à nez avec une chèvre, qui mâchait placidement du genêt en les regardant. Une autre fois, ils avaient dérangé un couple de perdrix qui avait fait son nid dans le vestige nuragique où ils avaient trouvé refuge, un après-midi torride où l’orage leur avait fourni un bon prétexte pour se débarrasser de leurs vêtements trempés. Et le jour où un pauvre sanglier était venu grogner un peu trop près des ruines qu’ils exploraient avec enthousiasme, il avait eu vite fait de finir embroché : la perspective de pouvoir se régaler après l’effort avait redoublé l’ardeur de Mendoza. Isabella ferma les yeux : non, être venue ici n’était pas une erreur. Elle décida de se plonger dans ses souvenirs sans aucune retenue. Au diable Hava et ses manigances ! Elle aurait bientôt sa rançon, et il reviendrait, c’était tout ce qui comptait. Ils marcheraient à nouveau ensemble au milieu des ruines, s’observant, se guettant, attentifs au moindre signe indiquant que l’un d’eux était prêt à se jeter sur l’autre, et leur jeu n’aurait pas de fin. Il reviendrait, et l’abîme se refermerait. Comment pouvait-elle en douter ? Leur séparation n’était qu’une parenthèse ridicule, une simple pause qui leur permettait de reprendre souffle au milieu d’une étreinte à peine interrompue par quelques importuns qui ne méritaient pas plus qu’on s’intéresse à eux qu’à une chèvre ou un sanglier trop curieux. Il reviendrait.
A bord du condor, Indali et Tao laissèrent Zia à ses préparatifs pour se retirer dans le laboratoire. Tao était surtout pressé de continuer à travailler sur le capteur de lumière dont il voulait absolument pouvoir se servir lors du mariage. Maintenant qu’il savait comment venir en aide à Mendoza, le jeune chercheur ne se préoccupait plus que de ses travaux, qui occupaient constamment son esprit. Il était heureux de constater qu’Indali partageait son enthousiasme. Elle faisait beaucoup de progrès, et Tao se disait que d’ici peu de temps elle pourrait presque l’égaler. Les deux amis s’affairaient en silence, absorbés par leur tâche respective. Cela n’empêchait pas cependant Tao de jeter de temps en temps un regard admiratif en direction de la jeune Indienne. Il ne pouvait s’empêcher de repenser à la façon dont elle avait tenu tête à Isabella, elle d’habitude si timide et discrète. Il aurait bien voulu lui dire combien il avait apprécié son intervention, mais il ne savait comment tourner la chose. Et puis, le silence d’Indali le gênait un peu. Depuis le matin, elle n’avait guère parlé, et Tao avait même l’impression que quelque chose la contrariait. Soudain, le visage de la jeune femme passa d’une grande concentration à une grimace étrange.
Elle se leva brusquement.
I : Excuse-moi, je reviens…
Elle sortit de la pièce, laissant Tao indécis quelques secondes. Il aurait dû se contenter de hausser les épaules et d’attendre qu’elle revienne, mais il se leva à son tour, inquiet. Il n’avait jamais vu le visage d’Indali se contracter ainsi. Si quelque chose n’allait pas, peut-être pouvait-il l’aider ? Elle devait cesser de garder ses ennuis pour elle, après tout, il était là, elle pouvait lui parler ! Alors qu’il marchait dans le couloir, il entendit un gémissement provenant de la chambre. Il pressa le pas, et tant pis s’il se montrait indiscret, une fois de plus !
Il trouva Indali assise sur son lit. Elle se tenait le cou, visiblement en proie à une grande douleur. Aussitôt, Tao s’affola.
T : Qu’est-ce qui t’arrive, je peux t’aider ?! Veux-tu que j’appelle Zia ?
Elle ne fut point étonnée de le voir, même si elle avait pensé qu’il serait trop absorbé par son invention pour s’inquiéter. Après tout, il tenait peut-être vraiment à elle.
I : Ne t’inquiète pas c’est juste un torticolis, pas de raison de s’inquiéter.
A ces mots, Tao s’approcha et s’assit résolument à côté d’elle, comme sous le coup d’une inspiration soudaine. Sans la regarder cependant, il débita d’une traite le petit discours auquel il avait pensé en la suivant.
T : Indali, je ne suis pas dupe, si ça n’avait été que ça, tu ne serais pas sortie si précipitamment, il n’y a aucune raison de cacher un torticolis… tu sais que tu peux tout me dire…
Indali ne savait pas quoi faire, si elle lui parlait, il allait s’inquiéter pour elle sans pour autant qu’il puisse l’aider, et puis, elle ne voulait pas qu’il sache, mais si jamais il la regardait suffisamment, il verrait forcément les marques sur son cou. Mieux valait se lancer, sans pour autant tout lui dire. Elle espérait juste calmer son inquiétude légitime.
I : J’ai des douleurs fréquentes au cou depuis la Chine… ça va passer, Zia est au courant, elle me l’a assuré…mais parfois c’est difficilement supportable. Je ne voulais pas t’inquiéter, alors je ne t’en ai pas parlé, et jusqu’à présent j’ai réussi à te le cacher, mais tout à l’heure…
T : Si ça dure depuis tout ce temps, ce n’est pas rien ! Tu es sûr que tu en as parlé à Zia ?
In : Tu sais bien qu’elle était avec moi…je t’assure, ça va passer !
T : Tout de même, qu’est-ce qui t’est donc arrivé pour avoir des douleurs pareilles ? Tu t’es pris quelque chose sur la gorge, quelque chose comme ça ? Et tu ne m’as rien dit ?
I : Je te dis que je ne voulais pas t’inquiéter…
T : Tu ne voulais pas m’inquiéter ! Mais je m’inquiète ! Tu sais que tu…que tu comptes pour moi, alors, si tu souffres, je veux pouvoir t’aider, même si c’est juste par des paroles…et euh…je peux peut-être te faire des massages aussi. Zia ne t’a pas donné un onguent ?
I : Oh, Tao…excuse-moi…tu es si gentil….mais…
T : Mais quoi ? Oui, je sais, j’ai toujours le nez plongé dans mes expériences, je ne fais pas forcément attention aux autres, mais il ne faut pas hésiter, il ne faut pas me ménager, au contraire, moi, je veux t’aider, je veux soulager ta souffrance, ou au moins la partager, si je ne peux rien faire d’autre ! Pourquoi tu ne m’en as pas parlé, je ne comprends pas !
I : Pardon, Tao…pardon…
T : Indali ? Tu pleures ? Tu as donc si mal ?
Elle posa sa tête contre son épaule sous les yeux médusés de Tao, puis elle mit un certain temps pour répondre. Le jeune Muen était perdu, et un peu honteux. Pleurait-elle à cause de ses reproches, alors qu’il voulait juste l’aider ? Il avait l’impression qu’il s’agissait d’autre chose, car jamais il n’avait vu Indali dans cet état.
I : Tu te souviens, quand on s’est fait capturer par ces brutes ?
T : Oui bien sûr… comment l’oublier…
I : Zia et moi, on vous a dit qu’on avait été ligotées dans une tente, et qu’on avait réussi à s’enfuir pendant la nuit…
Tao ne comprenait pas où elle voulait en venir… quel pouvait bien être le rapport ?
I : Eh bien, ce n’est qu’une partie de la vérité … on a bien réussi à se détacher, mais au moment de sortir…
Elle eut un moment d’hésitation, mais reprit, d’une voix plus assurée. Il fallait qu’elle lui dise, elle sentait qu’il pouvait l’entendre, et que cela l’aiderait à surmonter cet épisode pénible.
I : Un garde est entré, il a assommé Zia, et il m’a soulevée par la gorge en me serrant de plus en plus fort… tout ce dont je me souviens par la suite c’est que, c’est….
Tao, qui ne s’attendait pas du tout à ce genre de révélation, lui dit d’une voix mal assurée qu’elle n’avait pas besoin de continuer, qu’il comprenait… Mais elle était déterminée à tout lui dire, si elle pouvait en parler à quelqu’un, c’était bien à lui…
I : Il a dit qu’il voulait profiter des rares femmes qu’ils avaient à disposition… après ça, tout est trouble, je me suis évanouie, sans doute par manque d’air. Quand Zia m’a réveillée, l’homme était à terre…. La suite tu la connais…
Tao n’osait bouger, de peur de déranger cette chère tête qui pesait sur son épaule. Il ne parvenait pas à croire que la voix qu’il venait d’entendre lui faire ce terrible récit était celle d’Indali, dont le visage était couvert de larmes. Malgré sa détresse, elle avait eu la force de parler. Etait-ce grâce à lui ? Avait-il ainsi réussi à l’aider ? Il avait l’impression que cet aveu renforçait le lien qui existait entre eux. Et plus que jamais, il admirait Indali pour son courage. Déjà ce matin, face à Isabella, et à présent, face à ce souvenir douloureux…Il passa son bras gauche derrière son dos et la serra contre lui.
T : Tu sais tu ne pouvais rien faire… il n’y a pas à avoir honte…
I : Peut-être, mais si Zia n’avait pas été là, je… je n’aurais plus jamais pu me regarder en face… pas après un pareil déshonneur…
T : Mais Zia est intervenue à temps, n’est-ce pas ?
I : Oui, mais je ne peux pas oublier cette main qui me tenait à sa merci…
T : N’y pense plus, c’est fini, et tu es là, avec nous, en sécurité…
I : J’aimerais ne plus y penser, mais la douleur…
T : Laisse-moi voir ça…Mais avant…
Il essuya délicatement de sa main les larmes qui coulaient sur le visage de la jeune Indienne.
T : Et maintenant, voyons voir un peu ce cou…si tu permets, bien sûr…peut-être qu’en soufflant dessus je ferai s’envoler cette douleur qui colle à ta peau et à ton âme, on ne sait jamais...
Il desserra son étreinte et se tourna vers Indali, qui se redressa et souleva sa chevelure sans un mot. Elle était troublée, mais pas gênée. Les derniers mots de Tao l’avaient surprise. Elle n’aurait jamais cru qu’il était capable de dire de semblables choses. Se pouvait-il qu’enfin…il se montrait si attentionné, il se préoccupait tant de son bien-être…S’il devait prononcer les mots qu’elle attendait depuis si longtemps, elle était sûre qu’elle oublierait à jamais sa honte et sa souffrance.
Elle tressaillit quand elle entendit à nouveau sa voix.
T : Tu as des marques plutôt prononcées, il n’y est pas allé de main morte !
I : Zia dit que cela s’estompe peu à peu, elle a l’espoir que la douleur passe avec le temps, mais elle m’a prévenue que je risquais d’avoir des séquelles pendant quelques années…
T : Elle s’y connait mieux que moi, nous verrons bien … Bon…au moins maintenant, tu sais que tu peux compter sur moi…si je peux faire quoi que ce soit…
I : Tu ne souffles pas sur mon cou ?
T : Hein ? Oh….eh bien, si..si tu veux…si cela peut te soulager…tu sais, je disais ça comme ça !
I : Pour moi, ce sera le meilleur des remèdes…
T : Ah…alors…
Il s’exécuta, et Indali frissonna de plaisir en sentant le souffle tiède caresser sa peau.
I : Tu me chatouilles…
T : Oh ! Excuse-moi !
I : Non, je me sens beaucoup mieux, grâce à toi. Merci, Tao.
T : Alors, je vais pouvoir partir l’esprit tranquille. J’avais bien vu que quelque chose te contrariait depuis ce matin, mais ça ira mieux maintenant.
Elle se rembrunit.
I : Tu vas me manquer…si j’avais été vraiment courageuse, j’aurais pris la parole pour demander à t’accompagner au lieu de m’en prendre à Isabella. Au moins, elle, elle a du courage.
T : Ah non, c’est une tête de mule comme Esteban, c’est pas pareil ! Je trouve que tu as été très courageuse de lui dire ses quatre vérités, moi ! Elle sera bien mieux ici, et toi aussi, crois-moi ! Même si je préfèrerais qu’on ne se sépare pas..enfin, ça ne durera pas bien longtemps !Toute cette affaire sera vite réglée, j’y veillerai personnellement ! Sans Isabella, ce sera du gâteau, et j’aurai Esteban à l’œil ! Mais bon, si je pouvais…enfin, si nous pouvions finir le réglage du capteur de lumière avant que je parte…comme ça, quand je reviendrai, on n’aura plus qu’à procéder au montage final et…
Indali sourit.
I : Je vais t’aider, bien sûr…retournons au laboratoire. Je vais vraiment beaucoup mieux !
Tao se leva avec enthousiasme.
T : Eh bien, allons-y !
I : Attends…je voulais te demander encore une chose…tu ne diras rien à Esteban, n’est-ce pas ?
T : Non, bien sûr…je ne trahirai pas ta confiance. Tu m’as confié un secret qui te pesait. Cela restera entre nous. Et…j’apprécie cette marque de confiance.
Indali hocha la tête. Elle se sentait le cœur léger.
Quelques heures plus tard, Nacir suivait les deux amis d’Isabella plus intrigué que jamais, qu’avait-elle réellement voulu dire en lui demandant de ne s’étonner de rien de ce qu’il verrait en leur compagnie, ni d’avoir peur… Pour quelle raison aurait-il pu avoir peur ? Ils allaient juste marcher jusqu’à leur navire, faire un long voyage, et lui allait plonger grâce à cette espèce de cloche dont ils avaient parlé. Etait-ce donc de ça qu’il devait avoir peur ? S’il avait compris, c’était un moyen pour plonger plus profondément, en ayant une réserve d’air. Cela lui paraissait certes incroyable, mais tellement excitant, et il avait plutôt hâte d’essayer la chose ! Il en avait discuté avec le chevalier d’Aubusson, qui partageait son enthousiasme, et regrettait presque de ne pas faire partie de l’expédition, pour pouvoir voir l’extraordinaire équipement de ses propres yeux. Non, Isabella ne pouvait pas croire qu’il aurait peur de ce genre d’aventure ! Ils marchaient d’un bon pas, mais même s’il ne connaissait pas la région, Nacir se rendait compte qu’ils ne se dirigeaient pas vers le port de L’Alguer. Peut-être ses compagnons avaient-ils quelque chose à faire avant d’embarquer, mais pourquoi ne lui avait-on rien dit ? Il n’aimait pas être mis ainsi à l’écart, et il repensait aux regards embarrassés qu’Isabella avait échangés avec Tao et Esteban quand le chevalier d’Aubusson avait demandé le nom de leur navire, en faisant remarquer que le chevalier Romegas avait oublié de leur poser la question, tant il avait hâte de partir pour Malte. Tao avait commencé à lancer un nom que Nacir avait mal entendu, avant de répéter quelque chose comme « La Soledad », ce qui avait paru étonner tout le monde. Nacir avait l’impression qu’on lui cachait quelque chose, il ne comprenait pas ce que cela pouvait être, et cela commençait à le mettre de mauvaise humeur. Il décida de se jeter à l’eau.
N : Dites moi… Je me trompe ou ce n’est pas la direction du port ? Où allons-nous exactement ?
E : Tu es perspicace ! Tu as raison, nous n’allons pas à L’Alguer, mais nous ne voulions pas que le chevalier d’Aubusson le sache. C’est pourquoi nous avons bifurqué tout à l’heure.
N : Mais…pourquoi mentir au chevalier ? Vous n’avez pas confiance en lui ? Pourtant vous lui confiez la vie de vos amies ! Je ne comprends pas ! Et moi, j’ai confiance en lui, je le connais mieux que vous, enfin…j’ai eu davantage l’occasion de le côtoyer.
T : Ne t’inquiète pas, nous lui faisons confiance, mais il y a certaines choses que nous ne pouvons pas lui révéler malgré tout. Tu vas bientôt comprendre.
N : Donc, vous allez me révéler quelque chose que vous voulez lui cacher ?
E : Exactement. Isabella t’a prévenu à demi-mots, mais elle ne pouvait pas t’en dire plus devant lui. Si elle avait eu l’occasion de te parler à part…mais il semblait penser qu’il devait être au courant de tout, ce qui est bien normal…sauf qu’avec nous, rien n’est jamais très normal !
Nacir se demandait ce qu’il devait penser de cette dernière déclaration, quand Tao le prévint.
T : Attention, à partir de maintenant, tu dois t’attendre à tout ! Toi qui voulais de l’aventure, tu vas être servi !
Ils étaient arrivés aux abords d’une forêt de pins, dans laquelle ils s’enfoncèrent. Tous les sens de Nacir étaient en alerte. Ses compagnons progressaient sans dire un mot depuis un moment, quand soudain Tao s’exclama : « C’est pour bientôt, prépare-toi ! ». Quelques instants plus tard, le jeune pêcheur d’éponge contemplait, ébahi, la chose la plus extraordinaire qu’il ait jamais vue. Comment une telle merveille pouvait-elle se trouver là, au milieu de cette forêt ? Qui avait bien pu façonner cette gigantesque statue d’oiseau, si éclatante qu’elle semblait faire d’or…il ne pouvait y croire, quel souverain était assez riche pour posséder une telle quantité de métal précieux ? Il restait sur place, sans pouvoir bouger, quand il remarqua que ses compagnons se dirigeaient vers l’oiseau, dont le bec s’ouvrit à son immense stupeur. Il sentait la peur le gagner, quand il se souvint de la recommandation d’Isabella. Au même instant, Esteban se retourna vers lui et l’appela, l’invitant à les suivre. Il les regarda gravir les échelons et disparaître à l’intérieur de la statue. Non…ils étaient là…ils lui faisaient signe…Nacir lutta contre la peur qui lui paralysait les jambes, et bientôt sa curiosité fut la plus forte, il s’élança pour les rejoindre, le cœur battant.
E : Par ici, nous allons décoller ! Je te conseille de t’assoir !
Décoller ? Que voulait dire Esteban ? Nacir prit place dans le cockpit, ébloui par la splendeur qui l’entourait. Prudemment, il touchait le métal doré, sans oser croire à ce qu’il voyait.
T : Le condor est en orichalque. C’est un métal encore plus précieux que l’or, un métal prodigieux !
E : N’étale pas ta science, Tao, laisse-le s’habituer. Paré au décollage, Nacir ? Accroche-toi !
Il n’y avait rien à comprendre. A l’effroi succéda l’émerveillement. Il était perché comme un oiseau à la cime des arbres, et l’instant d’après il flottait dans les airs. Il avait l’habitude de l’immensité marine, mais il eut le souffle coupé quand il se rendit compte qu’il dominait la mer, et qu’au lieu d’être porté par les flots, il les voyait miroiter comme s’il les contemplait du haut d’une falaise. Cependant, tout comme dans la barque qui lui permettait de dompter l’onde, il voguait et le paysage se transformait sous ses yeux à mesure qu’il avançait, sans bouger d’un pas, grâce à cette masse gigantesque qui s’avérait aussi légère qu’une feuille portée par le vent. Il volait ! Lui qui défiait les profondeurs défiait à présent le ciel. Grisé, il laissa éclater sa joie. Esteban et Tao échangèrent un coup d’œil complice, et joignirent leur rire au sien. Puis Tao se leva.
T : Bon , Nacir je te laisse admirer le paysage, j’ai un petit travail à finir, pendant ce temps mets de l’ordre dans ta tête, et pose-moi toutes les questions que tu veux quand je reviendrai, en attendant contente-toi des explications d’Esteban, mais je te préviens, il n’y a que moi qui m’y connais en mécanique.
N : En mécanique ?
E : Laisse tomber, je t’expliquerai.
Tao avait à peine disparu que les questions fusèrent.
N : Dis, c’est Tao qui a inventé cet oiseau ? Comme la cloche ?
E : La cloche ? Ah, non non, le condor, on l’a trouvé en Amérique, et Tao ne pourrait même pas le faire voler, il n’y a que moi et Zia qui pouvons le piloter, grâce à notre médaillon. Et la cloche, elle n’existe pas, enfin, pas encore.
N : Mais…je croyais que c’est avec cette invention de Tao que je pourrais aller récupérer le trésor !
E : Ne t’inquiète pas, on a beaucoup mieux, mais on ne voulait pas en parler aux chevaliers, ils auraient posé trop de questions ensuite…et disons que nos réponses auraient pu nous mettre dans l’embarras.
N : Je vois…vous êtes des magiciens ?
E : Pas du tout. Enfin, à première vue, on pourrait le croire. Mais dis-toi que le condor n’est rien qu’un moyen de transport plus rapide et plus élaboré qu’un navire. Seulement, il n’y a que nous qui en possédons un, et cela lui confère un caractère extraordinaire. Mais imagine, s’il en existait des milliers à travers le monde, cela deviendrait une machine banale.
N : Le condor…ce nom lui va bien.
E : C’est juste le nom qu’on donne à certains oiseaux, là-bas, en Amérique.
N : Vous avez voyagé dans le monde entier…je vous envie…raconte-moi comment c’est, là-bas.
E : Je pourrais t’y emmener, une autre fois. En quelques heures, nous y serions, à condition de voler pendant le jour, car le condor fonctionne à l’énergie du soleil.
N : Ce n’est pas le vent qui nous porte, comme il porte les oiseaux ?
E : Le condor est trop lourd pour cela ! Mais ne t’inquiète pas, nous ne tomberons pas.
N : Je ne m’inquiète pas. Tout cela est fascinant....Raconte-moi tout ce que tu sais sur cet oiseau !
Esteban se mit en devoir de satisfaire la curiosité du jeune pêcheur d’éponge, et lui résuma les aventures qui avaient conduit à la découverte du condor, et celles qui avaient suivi. Nacir l’écoutait avec attention, quand il n’était pas distrait par le spectacle du paysage qui défilait sous leurs pieds.
N : Ce que tu me racontes est proprement incroyable ! Une cité sous la mer ! si je n’étais pas en ce moment même en train de voler, je dirais que tu es un excellent conteur, mais que tu me prends pour un enfant ! Mais dis-moi, n’avez-vous pas rapporté des trésors de ces cités fabuleuses ?
E : Les seuls trésors qu’elles avaient à livrer, c’étaient les connaissances de ces civilisations perdues dont je t’ai parlé.
N : Ah, oui, c’est vrai…Dommage... Mais, dis-moi, pourquoi continuez-vous à voyager ainsi à travers le monde ? Si vous allez si vite, n’avez-vous pas déjà tout vu ? Et puis, à côté de ces cités, le reste du monde doit vous paraître bien ordinaire…
E : Le monde est bien plus vaste que tu ne l’imagines, et ses merveilles sont innombrables…
N : Je comprends…moi non plus je ne me lasserais pas de parcourir le monde…
E : Tu sais, nous ne le faisons pas uniquement pour notre plaisir.
N : Oui, bien sûr, il faut vivre, gagner de l’argent…vous devez être riches à présent ! Vous devez pouvoir en transporter des marchandises dans cet oiseau volant !
E : Nous ne cherchons pas à être riches. La cupidité est la cause de bien trop de malheurs.
N : Oh ! Pardonne moi, tu as raison…j’oubliais pourquoi je suis ici. Mais tout le monde rêve d’être à l’abri du besoin. Moi, je me contente de peu, ça va, je me débrouille, mais au village, toutes les familles n’ont pas forcément de quoi vivre à l’aise.
E : Je le sais bien. Cela fait si longtemps que je cherche un moyen…
N : Un moyen ?
E : Un moyen d’aider efficacement ceux qui en ont besoin. Mais j’ai peur que ce soit trop tôt. Cela ne ferait que créer de nouveaux problèmes. Et je ne veux pas causer de nouveaux problèmes. Alors, je me contente d’observer, et je laisse Tao se faire des illusions, ça l’occupe. Il croit que ses inventions vont être utiles. Qu’on va pouvoir enfin mettre notre héritage au service de l’Humanité.
N : Votre héritage ? Ah, oui, les connaissances de ces deux peuples…Mais pourquoi cela créerait-il des problèmes ?
E : Ces deux peuples ont fini par s’anéantir mutuellement, alors…
N : Hum…mais tu as bien dit qu’ils avaient laissé cet héritage pour le bien de l’Humanité ?
E : Oui, disons que je doute d’être capable de persuader l’Humanité de faire bon usage de cet héritage.
N : Tu manques de confiance en toi !
E : Non, je suis réaliste. Et pour être franc, je m’efforce d’échapper à mes responsabilités.
N : Donc depuis des années tu sais comment résoudre les problèmes des gens et tu ne fais rien…je ne suis pas sûr de comprendre.
E : Quel âge as-tu, Nacir ? Tu es juste un peu plus jeune que moi, dix-sept, dix huit ans, n’est-ce pas ?
N : J’aurai bientôt dix-huit ans.
E : Tu sais, j’étais enthousiaste, au début, et puis…l’enthousiasme m’est passé…et je déteste me sentir obligé de faire quelque chose parce que quelqu’un d’autre en a décidé à ma place.
A ce moment-là, la porte du cockpit s’ouvrit et Tao entra. Il tenait à la main la clef du Thallios qu’il essuyait méticuleusement avec un pan de sa tunique.
T : Bon, on est bientôt arrivés, non ? Tu t’en es sorti, Esteban ? J’ai vérifié la bête, elle est prête !
E : Comme si elle avait besoin d’une révision ! Je te rappelle qu’elle est restée inutilisée pendant des siècles et qu’elle fonctionnait parfaitement !
T : Comme tous les chefs d’œuvre de la technologie muenne ! Eh eh, je te faisais marcher et t’es tombé dans le panneau ! Tu vois, Nacir, Esteban fonce toujours tête baissée sans réfléchir, je me suis souvent demandé si tous les Atlantes étaient si…impulsifs. Oh, mais, il ne t’a peut-être pas expliqué…
E : Si, je lui ai raconté, sans oublier de vanter tes ancêtres et leurs merveilleuses inventions.
T : J’espère bien ! Ah, si nos ancêtres n’avaient pas été rivaux, notre amitié n’aurait pas la même saveur !
E : Tu me saoulerais moins, c’est sûr !
T : Eeeh…tu es bien susceptible aujourd’hui…je voulais juste te rappeler le bon vieux temps, quand on avait dix ans de moins et les idées pas claires.
E : Parce qu’on a les idées claires, maintenant ?
T : Mais qu’est-ce qui te prend ?
E : Laisse tomber, c’est rien. On arrive.
T : Ah. Il faut que je me dépêche de finir d’astiquer la clef du Thalios, alors. Pour ne pas risquer que la poussière collée dessus l’empêche de fonctionner. On ne sait jamais. Attends, j’ai besoin de lumière, vire un peu à droite s’il te plaît.
Il brandit la clef et fit mine de l’examiner avec attention. Sans un mot, Esteban vira brutalement. Nacir se cramponna à son siège. Quand le condor se stabilisa à nouveau à l’horizontale, le jeune homme se décrispa légèrement. Tao tenait toujours la clef en l’air, comme si de rien n’était. Nacir le regardait, doutant d’être jamais capable de rester aussi flegmatique dans des conditions pareilles, quand un rayon de soleil frappa la clef, attirant son attention . Au moment où Tao s’apprêtait à la remettre dans sa manche, il s’enhardit à lui poser une question.
N : Cet objet…ce que tu appelles la clef…elle sert à ouvrir un coffre ?
T : Bien mieux que ça ! Grâce à elle, nous allons plonger tous ensemble à la recherche du trésor !
N : Je peux la voir de plus près ?
T : Ne te prive pas d’admirer ce chef d’œuvre de la technologie muenne ! En apparence, c’est un banal objet brillant qui ne semble avoir aucune utilité pratique, mais en fait, c’est notre clef pour explorer les fonds sous-marins, incroyable, non ? Je parie que tu n’as jamais rien vu de pareil, comme tout ce qui provient de mon héritage !
N : Justement, si.
Il examinait attentivement la clef, fasciné.
T : Oh, oui, bien sûr, à côté du condor, ce n’est rien, et bientôt tu vas découvrir le Thallios, oh oh oh, j’ai hâte !
N : Non, je voulais dire que…que j’ai déjà vu un objet semblable…
T : Oui, ça ressemble à un gros anneau…mais avoue qu’on se demande à quoi ça peut servir ! Ceux qui l’avaient trouvé en avaient fait la garde d’un sabre, faute de mieux…
N : Je ne parlais pas d’un anneau…enfin, ce que j’ai vu ressemblait à un anneau aussi, de la même taille, doré lui aussi, avec des inscriptions…
T : Ah ? et tu as vu ça où ?
N : Sous l’eau, quand j’ai plongé pour récupérer le trésor, je l’ai tenu en main un instant, puis il m’a échappé quand l’épave a glissé plus bas dans les profondeurs.
E : Et tu penses vraiment que cet objet ressemblait à celui-ci ?
N : Oui, il avait quelque chose de spécial, et si je pouvais le retrouver, vous seriez de mon avis, j’en suis sûr.
T : Intéressant…dis Esteban, tu penses comme moi ?
E : Hum ?
T : Tu crois qu’on va avoir quelques surprises sous l’eau ?
E : Je ne comprends pas comment tu peux être toujours aussi enthousiaste. Les surprises, on ne sait jamais comment ça finit. Moi, tout ce qui m’importe c’est de trouver assez d’or pour payer la rançon. Bon, il faut que je trouve où me poser.
N : Tu es sûr qu’on est au bon endroit ?
T : Le paysage paraît différent vu de haut, tu t’habitueras.
E : On est un peu plus au sud, mais ce coin m’a l’air plus propice pour poser le condor. De toute façon, on ne va pas y aller à la nage, alors…
N : Vous avez quand même un bateau quelque part ? Le…Thallios, c’est ça ?
T : Un bateau ? Non, mieux que ça ! Allez, viens, je vais te montrer ! Esteban, tu nous fait un atterrissage en douceur, s’il te plaît !
Quelques minutes plus tard, le condor était posé dans une crique située sur un côte découpée et peu accessible. Aucun village de pêcheurs ne se trouvait à proximité. Esteban avait rejoint ses camarades dans la soute du condor. Quand il était entré, Nacir se remettait à peine du choc causé par la vision du Thallios : il n’avait pas pu s’empêcher de reculer de peur devant la carapace luisante qui semblait prête à sauter sur lui. Tao l’avait en effet suspendue à un mètre du sol par des filins d’orichalque, si bien qu’elle oscillait doucement quand ils étaient entrés, et que l’atterrissage pourtant parfaitement maîtrisé d’Esteban avait eu pour effet de projeter brusquement en avant l’engin. Nacir avait cru qu’un insecte monstrueux fondait sur lui, avant de se reprendre : il ne pouvait s’agir que du fameux Thallios, qu’il examinait à présent avec une attention mêlée d’une pointe de crainte et de dégoût, malgré sa fascination.
N : Qu’est-ce que cette…chose est censée représenter ? Une crevette géante ?
E : Non, Tao a des tas de théories à ce sujet…
T : Des tas ? Mais non, après bien des recherches, j’ai acquis une certitude ! Vois-tu, Nacir, en plongeant dans les profondeurs avec le Thallios, j’ai eu la chance d’observer des centaines de specimens marins tous plus étranges les uns que les autres, un spectacle fascinant, je t’assure ! Et plus on plonge profondément, plus on voit des créatures incroyables !
E : Oui, des trucs vraiment monstrueux…
T : Mais non ! Elles sont fabuleuses, magnifiques !
E : Oui, n’empêche qu’il y a des poissons vraiment bizarres, et très laids, comme cette grosse masse blanchâtre avec un gros nez rond et des yeux noirs globuleux, tu te souviens, Tao ? Je t’assure, Nacir, j’ai pas vraiment envie de le recroiser.
T : Ah oui, je me souviens, tu avais fait un bond d’un mètre quand il était apparu derrière la vitre. D’accord, certains sont laids, mais tellement fascinants !
N : Et ce..cette créature existe réellement ? ça ressemble vaguement à un poisson volant.
T : Tu vois, tu commences à t’habituer, le Thallios ne te paraît plus monstrueux. Moi je le trouve très élégant, une vraie réussite ! En fait, c’est entre la crevette et le scorpion…mais avec des ailes.
N : Et tu en as vu sous l’eau ? De cette taille ?
T : Non, bien sûr, ils étaient bien plus petits, et pas exactement semblables. Tu vois, je pense que de telles créatures existaient du temps de mes ancêtres, il y a bien bien longtemps, mais elles ont changé peu à peu au fil des siècles, et…
E : Oui, bon, tu nous raconteras tout ça plus tard, on n’a pas de temps à perdre, détache plutôt le Thallios.
T : Mais ça intéresse sûrement Nacir ! Lui au moins, il est curieux !
N : C’est vrai, mais Esteban a raison, et puis, je suis impatient de voir comment fonctionne ce Thallios. Par où allons nous y entrer ?
T : Un peu de patience…Esteban, j’espère que tu t’es posé à un endroit propice.
E : Qu’est-ce que tu crois ? La position du condor est parfaite, tu n’as qu’à ouvrir la trappe pour vérifier par toi-même.
T : C’est ce que nous allons voir…attention, c’est parti !
Il se dirigea vers un tableau de commandes fixé sur la paroi et actionna quelques manettes, faisant descendre le Thallios jusqu’au sol puis le libérant, en même temps qu’une trappe s’ouvrait en un pan incliné sur lequel l’engin se mit à glisser, pour finir dans la mer.
N : Eh, mais il va couler !
T : Non, ne t’inquiète pas. Par contre, s’il n’y a pas assez de fond, on risque de rester échoués là.
E : Allez, on y va !
Nacir suivit ses camarades qui sautèrent sur le dos de la bête et entreprirent de tourner une sorte de roue métallique qui lui parut fort surprenante. Un instant plus tard, il disparaissait avec eux dans le sas menant dans les entrailles du Thallios, avec un reste d’appréhension malgré sa jubilation. Il vit Tao insérer ce qu’il appelait la clef sur une surface qui lui semblait pourtant lisse, et dont jaillirent des lumières qui l’éblouirent. Un bourdonnement singulier emplit l’espace. Le corps de Nacir fut comme parcouru par une onde, il eut l’impression d’être soulevé du sol puis écrasé par une main invisible. Ils étaient en train de s’enfoncer dans la mer. Une brusque accélération le fit tituber. Esteban le retint et le conduisit vers une sorte de banc. C’est alors qu’il put admirer, sans avoir à se concentrer sur sa respiration, les merveilles des profondeurs. Tao, depuis les commandes, l’interpella.
T : Alors, qu’en dis-tu ? Pas mal, non ?
Mais le jeune pêcheur ne répondit pas, tant il était fasciné par l’expérience qu’il vivait. Il commençait à croire qu’il s’agissait d’un rêve éveillé.
E : D’après les indications d’Isabella, nous devrions être à quelques kilomètres du site. Nous referons surface brièvement pour nous en assurer, et tu nous guideras, à moins que nous ne tombions directement sur l’épave.
Nacir opina, totalement absorbé par le spectacle. La voix d’Esteban le tira à nouveau de sa rêverie un peu plus tard. Il reconnut la côte, les roches permettant de repérer la position du trésor. Sur ses indications, le Thallios plongea. Le jeune homme redécouvrait le site où il avait failli perdre la vie sans croire ce qu’il voyait : une lumière nouvelle éclairait les fonds marins, révélant des détails insoupçonnés, des couleurs éblouissantes, une faune et une flore qui jusque-là n’étaient pour lui que des ombres mouvantes qui effleuraient parfois son corps. Il avait repoussé ses limites pour plonger aussi profondément la dernière fois, et un monde nouveau se révélait à lui depuis qu’il avait pris place à bord du Thallios.
T : On dirait qu’à cet endroit quelque chose a labouré le fond récemment. Mais on voit encore des traces de l’épave.
N : Ce devait être l’ancre.
E : Et tout a basculé dans cette faille, apparemment l’épave était juste au bord. Il faut aller voir.
Il pointait l’index en direction d’une flaque de ténèbres. Nacir frissonna. Il avait pourtant l’habitude de braver la mer, et il croyait en connaître les mystères, du moins assez pour avoir l’impression de dompter les éléments grâce à ses capacités exceptionnelles. Il découvrait pourtant à présent un univers qui n’avait plus rien de familier. Il se sentit paniquer à la perspective d’être englouti par cette bouche d’ombre béante.
N : Attendez !…Jamais je ne pourrai plonger aussi profondément !
T : Tu n’auras pas à plonger, puisque nous avons le Thallios !
N : Mais si nous trouvons quelque chose…comment…
T : Eh eh eh, la bête a plus d’un tour dans son ventre !
E : Pff, Tao…
T : Ben quoi, on est dans le ventre de la crevette ! Moi j’adore l’aspect organique de cette machine ! Mais là je devrais dire qu’elle ressemble plutôt à un crabe, puisqu’elle a des pinces ! Très pratique, tu vas voir, Nacir ! Allez, on plonge !
Après avoir fait un clin d’œil à son passager, il manoeuvra en direction de la faille. La descente parut interminable à Nacir. L’obscurité régnait et il se sentait oppressé. Et s’ils ne parvenaient pas à atteindre le fond ? S’ils restaient prisonniers du gouffre? Il se rassura en se disant que ses camarades avaient l’air de parfaitement maîtriser la situation, et s’efforça de trouver remarquables les poissons étranges qui apparaissaient soudainement dans le faisceau de lumière du Thallios, tels des éclairs sur un ciel laiteux, avant de se fondre à nouveau dans les ténèbres. La voix laconique d’Esteban brisa le silence.
E : Je crois qu’on y est, j’ai vu briller quelque chose.
T : Exact ! Regarde, Nacir, on dirait bien qu’on a trouvés les lingots ! Le trésor est à nous !
E : Ils sont éparpillés un peu partout, il va falloir ouvrir l’œil.
T : Et on dirait qu’on n’a pas atteint le fond, c’est un vrai gouffre !
E : Pas tant que ça, on aperçoit encore des lingots là-bas, sur la gauche, regarde, cette fois, on n’ira pas plus bas. Sors les pinces, on commence la récolte !
Nacir avait bondi dès qu’Esteban avait mentionné la présence d’un objet brillant. Il ne parvenait pas à croire qu’ils touchaient au but, qu’il pensait inaccessible depuis l’accident qui avait causé son échec. Un véritable tapis de lingots s’offrait à sa vue . Soudain, il recula vivement. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser que ce qui avait surgi devant lui se trouvait à l’extérieur, et n’était pas une créature monstrueuse des abysses, vu son éclat métallique. Il se tourna vers Tao et remarqua qu’une nouvelle lueur clignotait sur le tableau de commandes, mais il n’était pas sûr de comprendre comment en appuyant sur une simple touche son camarade avait pu faire surgir d’énormes pinces qu’il voyait à présent s’agiter devant eux, s’emparant des lingots qui gisaient un peu partout, sur le fond et sur des replats rocheux, et les faisant disparaître on ne sait où. Ce ballet aquatique eut cependant pour effet de lui faire oublier son angoisse.
N : Excusez mon ignorance, mais…où vont les lingots ?
T : Ne t’excuse pas, c’est tout naturel de poser ce genre de questions, et personne n’est mieux placé que moi pour te répondre. Tu vois, je dirige les pinces avec cette manette, et j’ai ouvert une trappe sous le Thallios pour stocker les lingots dans une petite cale.
N : Une trappe ? Mais…
T : La cale est tout à fait étanche, et ne communique pas avec notre habitacle, bien entendu. Toutefois, elle n’est pas très volumineuse, et j’ai peur qu’elle soit remplie avant que nous ayons fini notre récolte.
E : A mon avis, nous aurons largement de quoi satisfaire Hava.
T : S’ils sont en or. Mais imagine que ce ne soit que du cuivre ou du laiton. A cette profondeur, difficile de juger.
E : Arrête de me faire marcher ! Une carte au trésor pour une cargaison de cuivre !
N : Moi, je suis sûr que c’est de l’or, je n’en ai jamais vu une telle quantité ! A part le condor…
T : Qui est en orichalque, je te rappelle.
E : Bah, pour une voleuse, il suffit que ça brille, dès qu’elle verra ce monceau de métal étincelant, elle ne pensera plus qu’à le récupérer, elle lâchera Mendoza, et on sera tranquilles.
N : Eh, regardez, là ! Le…le cercle !
T : Le cercle ? Oooh, je vois…le voilà ce fameux objet….
Il manoeuvra une des pinces pour cueillir délicatement le cercle cranté qui était accroché à la pointe d’une roche, et s’approcha de la vitre pour l’examiner, délaissant le poste de pilotage. Le Thallios flottait comme en apesanteur. Nacir jeta un coup d’œil inquiet à Esteban.
E : Tao ! Tu verras ça plus tard !
T : Du calme, Esteban, on ne craint rien, tu le sais bien…
Mais Esteban avait déjà repris les commandes, et la pince disparaissait sous le Thallios, tandis que l’engin amorçait un demi-tour.
E : Bon, je pense qu’on a tout ramassé, j’inspecte une dernière fois les alentours et on remonte, d’accord ?
T : D’accord, n’oublie pas de refermer la trappe ou on risque de perdre tous les lingots…
Quelques instants plus tard, le Thallios accélérait sous la conduite experte d’Esteban. Jamais Nacir n’aurait pensé vivre une expérience aussi excitante que cette remontée fulgurante qui manqua de lui faire exploser le cœur. Quand le Thallios jaillit des flots, le jeune pêcheur d’éponge eut l’impression d’être devenu invincible : il avait dompté les airs, il avait dompté les abysses. Et il rapportait le trésor.
"On savoure mieux ce qu'on a désiré plus longtemps, n'est-ce pas Mendoza?" Unagikami mon amour "It was a skyfall, and a rebirth, a bloody honeymoon, for both of us" Yokai Circus