Au début des ides de décembre, le treize exactement, le concile de Trente débuta.
À 9H30, la procession des Pères Conciliaires, des ambassadeurs et de la noblesse du lieu entra dans la cathédrale Saint-Vigile pour la messe du Saint-Esprit et la première session.
Depuis le temps où il recevait l'enseignement du futur Adrien VI, Charles Quint rêvait du Grand Synode qui purifierait l'Église et réconcilierait les chrétiens. La réalité fut amèrement décevante. Dès la première séance, il apparut que ce concile réunit aux approches d'une guerre de religion, ce concile œcuménique dont les protestants étaient absents donna lieu à un combat entre le pape et l'Empereur.
Celui-ci désirait que la priorité soit donnée à la réforme interne de l'Église. Alors seulement le concile aura l'autorité nécessaire pour définir sa doctrine et l'imposer à tous. Si les protestants contestaient encore, ils prouveront que leurs mobiles ne sont pas religieux. Paul III, au contraire, tenait à ce que la théologie passa au premier plan selon un usage millénaire. Il sera temps de s'occuper du reste quand les Pères se seront exprimés là-dessus. Chacun faisant preuve d'une égale obstination, force était d'arriver à une transaction: on traitera alternativement les deux questions.
Mais le Saint-Père avait l'avantage. Seuls les prélats Espagnols et Napolitains que menait le cardinal Pacheco défendaient la thèse impériale. Ils ne firent pas le poids devant la Curie et les remarquables dialecticiens de l'Église qui ne manquait pas de théologiens éminents comme elle en manquait aux premiers temps de Luther. Les trois légats étaient des hommes de grande valeur. Ils n'entendaient pas perdre l'occasion, n'ayant aucun dissident devant eux, de donner au catholicisme une arme nouvelle. À leurs yeux, ce serait un crime d'y surseoir et de créer des troubles graves en voulant limiter les bénéfices ecclésiastiques, changer les mœurs du clergé, lui rappeler des devoirs oubliés, bref le soumettre à une discipline qui paraissait insupportable. Les Pères s'étaient attachés aux intérêts de la foi, non à ceux de la politique et n'avaient pas tenu compte des récriminations profanes.
À 14H00, la première décision fut prise: la date de la seconde réunion fut fixée. Les Pères tombèrent dans les bras les uns des autres. Seripando, le général des Ermites de Saint-Augustin, l'ordre de Luther, nota dans son journal:
La bouche est ouverte, qui ne peut proclamer que la vérité.
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La vérité! C'est tout ce que l'aventurière voulait savoir quand, installée devant la porte de la grande salle, en haut des marches de la petite logette, elle conversa avec son époux. La question lui brûlait les lèvres. Elle lui demanda de lui expliquer qui était cette femme qui l'avait accompagné jusqu'à Barcelone et, comment elle s'appelait. Comme s'il s'éveillait d'un songe, il se tourna vers elle.




Ce fut comme si les fours d'un atelier de verrerie s'étaient allumés en même temps dans ses veines. Un torrent ardent incendia son sang... le submergea. Mendoza demeura un instant, penché en avant, comme un homme pris de vertige, suspendu au-dessus d'un précipice, puis releva un visage bouleversé qu'il chercha à dissimuler en y passant plusieurs fois une main tremblante.

Il se demanda s'il n'allait pas tomber, là, aux pieds de sa femme qui le dévisageait de ses prunelles élargies.
En voyant ses traits, la lumière du bonheur vacilla et s'éteignit dans l'âme d'Isabella comme elle venait de s'éteindre dans les yeux de Juan. L'épouse comprit alors que cette jeune femme lui avait arraché l'homme qu'elle aimait et qu'elle devait être en grande partie responsable de sa réclusion au prieuré de Gérone. L'aventurière se prépara à une joute verbale. Mais, il n'en fut rien car le capitaine baissa la tête en marmonnant:

Son ton était étouffé.

Et sans attendre son congé, il tourna les talons et traversa la salle comme un somnambule. Isabella, envahie par le désespoir, le regarda sortir mais ses yeux étaient secs. Le Catalan gagna la chambre conjugale, se laissa tomber sur le lit et enfouit son visage dans un des gros oreillers... Sa figure était celle d'un homme qui savait que le feu qui le brûlait était un reflet de celui de l'enfer.

Il se répétait ces mots en tournant dans son lit.

L'air perdu, Juan tourna la tête et fixa le crucifix accroché au mur.

Il resta un long moment prostré, au bord du matelas. Il s'endormit en étant convaincu que, seul un miracle pourrait le sauver.
Quand Isabella vint le rejoindre, il n'avait pas bougé et paraissait somnoler. Elle s'approcha du grand corps étendu et se pencha sur lui.

Il ne répondit pas.

Elle sortit doucement de la pièce pour se rendre dans le jardin. Elle ne savait pas à ce moment-là que son mari venait de prendre une décision qui allait encore les séparer...
FIN.